Les médias sociaux nous enferment-ils dans un jeu de rôles / trônes ?

Quoi de mieux sur la toile que de se tisser un réseau tentaculaire et de ramifier un nid douillet pour pondre un personal branding à tout épreuve ? Quoi de mieux pour une marque que de profiter d’un contexte de sociabilisation ambiant pour se prétendre connectée et 2.0 ?

La magie d’internet, c’est de jouer à être nous-mêmes, mais en mieux. On met en avant nos qualités et nos compétences comme on équipe un avatar de ses meilleures armes et booste son XP pour gravir les niveaux à coup de hack & slash. Un rôle que l’on porte comme un costume et qui nous va comme un gant dans la galaxie web. Mais le plumage ne fait pas toujours le ramage

Acte chevalresque ou échec et mat ? Car on à beau se faire passer pour un chevalier sans l’être, on peut davantage ressembler à un cavalier sans tête si nos pairs ne semblent pas nous avoir adoubés. Disons le clairement, sur le web, seul l’écho semble importer, et peu importe le sens du cri originel. Un acte plus burlesque que chevaleresque, drôle en apparence, mais qui frôle la correctionnelle si la marque est prise en flagrant délit de zèle ou d’un zeste de déni. Puisque sur l’échiquier numérique, le cavalier peut être désarçonné et tomber dans l’échec si sa monture est trompeuse. Un acte fou quand on pense à l’importance du ROI dans cette discipline reine qu’est le social media.

Alors le web est-il plus virtuel que réel ? Peut-on réellement être soi-même sur internet ? Le marketing ne nous enrôle t-il pas inconsciemment dans un casting “casse-noisette” pour jouer un rôle dans un sitcom “site.com” ? Entre slash génération et roleplay : les internautes et les marques rentrent-ils dans un jeu de rôles trônes ?

 

La “slash generation” : modèle identitaire des internautes ?

Pour impressionner son réseau et flatter son égo, on ne peut malheureusement pas tous se targuer de descendre d’une lignée de nobles digitaux. Mais pour gravir les échelons, il est facile se prétendre de hauts rangs. Accumuler les compétences comme on porte des médailles d’honneurs est une chose, mais quant est-il de l’image que l’on revoit et aux yeux de nos pairs ?  Qui sommes-nous sur la toile ? Qui suis-je à vos yeux ?l'identité numérique ou le miroir déformant

Derrière ces interrogations cartésiennes à la mode “confessions intimes” se cache pourtant la question de notre identité sociale en format numérique. Les psychologues Tajfel et Turner ont travaillé pour définir 3 composants majeurs de notre identité sociale  :

  • les individus cherchent à accroître ou maintenir leur estime de soi. Ils aspirent donc à un concept de soi positif
  • la valeur de l’identité sociale dépend de l’évaluation des groupes en jeu dans l’identité sociale de la personne. L’individu se conçoit comme appartenant à un ou plusieurs groupes référents
  • l’individu se conçoit comme distinct, incomparable par rapport aux membres de son groupe

C’est cette ambivalence entre distinction et affiliation qui nous pousse à s’identifier à notre reflet dans le miroir déformant du numérique. Facebook est d’ailleurs une bonne représentation de ce “dédoublement de la personnalité”. Nos profils sur les réseaux sociaux nous incitent à être bref et à nous présenter en deux lignes, alors forcement on assemble des bouts de soi comme pour former un puzzle à son image.

L’identité numérique est donc un univers où l’on adapte son attitude par un darwinisme digital.

La décomposition de l'identité numérique selon internetactu.net

Dans cette projection versatile, les réseaux sociaux tendent à impliquer des formes spécifiques d’identité, ce qui pousse les internautes à adopter des comportements catégorisés. Le site internetactu.net explique dans un superbe article (que je recommande plus que chaudement) qu’il existe ainsi plusieurs rôles selon la visibilité adoptée sur le digital :

  • le paravent
  • le clair-obscur
  • le phare
  • le post-it
  • la lanterna magica

Les 5 formes de visibilité selon internetactu.net

La slash génération semble être la matérialisation de ce clivage entre compétition “réaliste” et compétition sociale. Il s’agit d’une pratique visant à énumérer et lister ses activités issues de différents contextes (professionnel et personnel), ce qui peut nous amener à rassembler plusieurs vies en un seul rôle. On ne se présente donc plus sous un trait direct comme on le fait sur nos carte de visite par exemple, mais bel et bien par une multitude d’informations connexes (métiers, compétences, intérêts, localité, etc.). Un tout hétéroclite mais un résumé à notre goût.

Par exemple, plutôt que de me présenter comme un webmarketeur, je pourrais spécifier : Marketing digital / Rennes / cinéma / blogueur / basketball / Community Management / mythologie grecque / livre bad buzz… Comme si on utilisait un descriptif en quelques 140 caractères pour se dessiner une bio et un CV par la même occasion, de sorte que l’on parvient à devenir de vrais petits transformistes dignes d’Arturo Brachetti selon les circonstances.

Devenir un transformiste digitale On oublie le bon vieux “ASV” d’MSN et on se fait une bibiographie en flash slash. En outre, la banalisation du hashtag rempli parfaitement cette fonction de catégorisation ambiante. Sur les réseaux professionnels comme Viadéo, on sent d’ailleurs l’apologie des termes que l’on s’approprie à loisir pour schématiser son propre écosystème, incitant ses pairs à confirmer et à recommander sa verve. On s’emmitoufle autour d’adjectifs techniques et de termes savants pour confectionner un nuage de mots clés qui convient à notre égo. Le nuage de mots clés est par conséquent l’allégorie parfaite de cet état d’esprit : résumer en quelques mots une entité singulière qui au final ressemble à toutes les autres. La technologie nous induit-elle finalement à réduire la taille de notre aura pour rester dans l’immédiateté ?

Vous me direz quel est le problème pour cette slash génération ? La slash generation ou l'assemblage des pièces du puzzleJe vous cède bien volontiers que se présenter comme ambidextre, polyglotte et singe savant est un bon point pour se rendre attractif en temps de crise. Car si pour le référencement, la multiplication des slashs dans un URL est préjudiciable, il n’en est pas forcément de même concernant la réputation numérique. Le problème reste qu’il faut régulièrement démêler le vrai du faux à un stade où tout le monde s’auto-proclame spécialiste et expert. Les internautes sont-ils pour autant des escrocs ? Un spécialiste à 15000 followers est-il meilleur qu’un spécialiste à 400 followers ?

À force de vouloir se valoriser, on peut finir par s’oublier légèrement. Est-il légitime et nécessaire d’apparaître comme quelqu’un que l’on est pas réellement ?

 

Le roleplay marketing : un situationnisme opportuniste pour les marques ?

Par “roleplay”, l’inconscience collectif désigne généralement le fait de s’identifier à un personnage que l’on manipule. Ce terme provenant du milieu vidéoludique peut en effet s’appliquer au web 2.0 où les marques profitent du contexte d’humanisation des échanges pour agir dans leurs intérêts commerciaux, et ce de manière parfois maladroite et inefficace.

lexperience sur les prisonniers et les gardiensCar de la situation découle le plus souvent des réactions corrélées et “l’être” devient généralement le “faire”. Le psychologue Zimbardo a notamment mit en exergue ce phénomène de manière spectaculaire à travers une “expérience” marquante. En instaurant une simulation carcérale, il a reparti aléatoirement les sujets volontaires, entre prisonniers et gardiens. Dans une vraie prison, les faux prisonniers ont ainsi été conduis menottés dans un authentique véhicule de police. Sans aucune surveillances de la part des expérimentateurs, les prisonniers ont été enfermés et livrés à la volonté des gardiens et ont rapidement subis des traitements sadiques et humiliants de la part des surveillants qui se sentaient tout puissants. L’expérience qui devait à l’origine durer deux semaine a ainsi du être écourtée au bout de 6 jours. Les gardiens s’étaient tellement accaparés le rôle qu’ils étaient devenus incapables de mesurer le poids de leurs actes. La situation hiérarchique les avaient enfermé dans un rôle d’autorité toute puissante et immorale.

Bien entendu, la marque n’a rien à voir avec un acteur tortionnaire, et les internautes ne sont pas bayonnés car ils peuvent toujours parler de la marque sur d’autres plateformes que celles où l’entreprise est présente. Néanmoins, un parallélisme peut être observé entre la situation d’une entreprise sociale et le manque d’empathie dans les interventions qu’elle mène, même bien intentionnée.

À force d’être obnubilé par le contexte 2.0, on peut en oublier les caractéristiques de nos clients, ce qu’ils aiment ou attendent alors qu’ils est à mon sens stratégique de se mettre à leur place pour mieux comprendre leurs besoins. Or Le web n’est pas que le web 2.0. Le client n’est pas le résultat d’une équation purement commerciale, mais bien la clef de voute et le centre de la stratégie marketing. La marque n’interprète donc pas le bon rôle. Elle se borne à s’affubler d’une image sociale (même si elle peut ne pas l’être dans les faits) et surtout elle admet difficilement qu’il est dans son intérêt de jouer avant tout le rôle des cibles qu’elle vise.Vie ma vie d'entreprise tournée avant tout vers ses clients Se mettre dans la peau des consommateurs plutôt que du marketeur pour mettre en priorité les attentes de ses clients et non les nôtres en somme. Par exemple, pour rédiger des annonces Adwords, il peut être intelligent de faire rédiger une annonce à un collègue éloigné du marketing digital car son message est plus enclin à concorder avec les aspirations des internautes lambdas.

Cette projection identitaire ouvre également le débat de l’harmonisation entre les canaux communicationnels. Ce qui compte n’est pas d’adopter une stratégie multi-canal ou cross-canal, mais bien de faire en sorte que l’écosystème de la marque soit homogène et cohérent car les internautes on une fâcheuse tendance à tout mettre dans le même sac. Ainsi, si vous communiquez sur un engagement dans vos magasins physiques, les clients prendront pour acquis le fait que cette promesse est valable sur vos comptes médias sociaux, et vice versa. Le rôle que vous vous attribuez doit donc anticiper les éventuelles incohérences entre les communications online et offline.

Si la marque parvient à se retirer ce masque de fumée, elle éviterait de s’achalander dans un cul de sac en formulant des promesses qu’elle ne peut tenir. Il n’y a pas de mode d’emploi type pour savoir transposer idéalement son ADN sur les médias sociaux, mais une prise de recul et de conscience est possible pour se lancer dans le grand bain sans risque.

la marque prend des risques en jouant un rôle qui n'est pas le sien

 

Conclusion

Peu importe le rôle interprété sur les médias sociaux, il y a des règles et des codes. Car dans les faits, ce qui compte n’est pas tant l’apparat que la personne ou l’entreprise renvoie (image numérique) mais bien ce qui en émane (réputation numérique).

Vous n'êtes pas le roi mais le serviteurSoyons clair, je ne suis pas contre les pratiques de la « slash gen », je souhaite simplement apporté un bémol quant à ce type de pratique qui déshumanise à mon sens les internautes pourtant désireux d‘afficher leur singularité. Un jeu drôle, mais de rôles… Faut-il pour autant se plaindre de pouvoir faire converger toutes ces identités sociales autour d’une même entité numérique ?

Même constat pour les marques qui souhaitent se positionner sur les médias sociaux. Leur volonté est louable, mais leurs motivations sont souvent tronquées par une volonté de se tourner vers leur image et non l’utilité apportée à leurs clients. Les médias sociaux représentent ainsi un vrai piège qui enferme parfois la marque dans une rôle de chef d’orchestre et non de musicien. Or, la partition digitale ne doit pas être dirigée à la baguette mais rédigée conjointement avec les internautes. La marque ne doit pas chercher à tout prix à jouer le rôle du héros, mais plutôt celui du serviteur. Car comme on a pu le voir dans cet article, être en situation de pouvoir incite fortement à s’en servir plus qu’on ne le devrait.

Évidement, comme toujours, tout cette réflexion ne concerne probablement pas les noobs gens ne pratiquants par “les internets” régulièrement ;) !

Et vous, que pensez-vous de ces élucubrations philosophico-marketing ?