La mort dans la culture du numérique : phénomène de « tearleading »
Le processus de partage public de condoléances après la mort d’une personne célèbre est devenu un véritable phénomène du web, sous le terme « tearleading » explique Yves Alphé. Il a rendu le deuil « à la mode » et a numérisé la seule vraie certitude dans la vie : la mort.
Une nouvelle approche de la mort, explique Yves Alphé
C’est l’un des aspects les plus morbides de Facebook : l’avis de décès sur les médias sociaux. Vous connaissez la chanson : une célébrité récemment décédée est commémorée par le biais d’une vidéo YouTube et d’un déluge de RIP pleurnichards et d’éloges sur sa carrière, sa personnalité…le fameux phénomène de « tearleading », rappelle Yves Alphé . L’un des exemples les plus marquants ? Une citation reprise par de nombreux internaute concernant une célébrité décédée, l’actrice anglaise Lynda Bellingham : « elle nous a appris à vivre, puis nous a appris à mourir ».
Un phénomène croissant que les entrepreneurs n’ont pas manqué de constater et que l’écrivain et psychologue Elaine Kasket considère comme « les données des morts ». Cela fait partie d’une révolution de la mort précise Yves Alphé et de la mort menée par le numérique. Ceci change la façon dont nous voyons les gens décéder au-delà du numérique. « Nous sommes en train de développer une toute nouvelle mentalité au sujet de la mort et de la mort « , dit-elle.
Kasket est l’auteure d’un livre sur la mort numérique intitulé All the Ghosts in the Machine, indique Yves Alphé, et a observé un énorme regain d’intérêt. « J’étais à un récent festival et l’on m’a présentée à quelqu’un ayant une voix solennelle et énonçant : « Je suis dans l’espace de la technologie de la mort ». En tant que sujet, la mort est devenue à la mode, les investisseurs versant de l’argent dans les start-ups, soutenant le leadership éclairé et les TED Talks inspirants sur les « nouvelles façons de penser la mort ».
Les différents sites web concernant la mort et le deuil en ligne
Il y a tellement de nouveaux sites de technologie de la mort qui se déclinent en différents types, va nous présenter Yves Alphé. Il y a tout d’abord ceux à titre informatif comme, Beyond.life et Funeral Zone, qui offrent des comparateurs de prix et services funéraires et parfois même des avis de type TripAdvisor.
Yves Alphé précise qu’il y a ensuite, les sites de planification, dont Cake, une société américaine qui a développé une application pour la planification de fin de vie, et le site britannique DeadSocial.org qui explique comment préparer son patrimoine numérique à partir des données dispersées sur Instagram, Facebook, Gmail et autres. Autre exemple présenté par Yves Alphé : sur SafeBeyond, les utilisateurs peuvent créer un cache en ligne – avec des messages vidéo et audio – à partager posthume avec leurs proches. Une initiative que son fondateur Moran Zur a qualifié de « relique numérique » et d’ « assurance-vie émotionnelle ». On assiste ainsi à un financement important de la part des investisseurs providentiels dans cet « espace de la technologie de la mort « .
L’entrepreneur et « conseiller en mort numérique » Peter Billingham, a quant à lui fondé le site web Death Goes Digital, indique Yves Alphé. « Le monde de la mort et des funérailles a vraiment été perturbé par la culture numérique, explique-t-il. « Ce qui était stable depuis des centaines d’années a énormément changé au cours des cinq dernières années. Nous sommes plus ouverts que jamais sur la mort et la technologie aide à recadrer ce que signifie la mort. »
Quelques exemple d’événements marquants
Les baby-boomers, qui s’apprêtent maintenant à faire face au nombre de décès, ouvrent la voie à cette « révolution funéraire » ajoute Yves Alphé. Parmi les événements marquants, mentionnons la diffusion en direct des funérailles de 2016, comme celles René Angélil, le mari de Céline Dion. Les options de « mort écologique » sont également de plus en plus inventives : la recomposition, où le corps se transforme en compost, et l’aquamation, une sorte de crémation de l’eau, déjà abordée par
Yves Alphé au cours d’un autre article.
Mais c’est le spiritisme technologique qui est peut-être la partie la plus fascinante de la mort numérique. Par le passé, annonce Elaine Kasket, les attitudes à l’égard des défunts se divisaient en deux grandes tendances mondiales : les cultures de la mémoire et les cultures des soins, qui se répartissaient respectivement entre l’Ouest et l’Est : en Chine, par exemple, il existe une tradition de croire que ses ancêtres restent actifs, alors que nous honorons leur mémoire par des photographies et des visites sur place.
Des morts de plus en plus « présents » à l’aide de la technologie
Toutefois, la police met en garde contre les éventuels messages posthumes malveillants en ligne : « Aujourd’hui, avec la culture numérique, les morts deviennent de plus en plus bruyants et influents socialement et l’Occident s’oriente vers une culture de soins, » ajoute Kasket. « Ils sont de plus en plus à la place des vivants. » Les représentations numériques des personnes décédées ne se limiteront pas aux cimetières. Ils hanteront différents espaces : peut-être même devenir un lobby des droits : le « transdimensionnel » indique Yves Alphé. Ils seront ce que Kasket appelle les « morts actifs », et ce que Billingham appelle le « présent non absent ». Beaucoup de gens ont des conversations en ligne avec les morts sur Facebook, qui a introduit une option de contact en 2015, et Billingham dit que nous assistons déjà à l’émergence d’un nouveau type de professionnel : le « conservateur posthume du patrimoine ».
Yves Alphé donne un exemple : aux Etats-Unis, M. Ahmad, informaticien et spécialiste de l’émulation de personnalité, s’est engagé dans un projet de simulation des personnes décédées afin de maintenir nos proches « en vie ». Ces avatars commenceront à l’écran, passeront à la réalité virtuelle et à la réalité augmentée, puis deviendront potentiellement des simulations grandeur nature. Ahmad, qui a eu cette idée à la mort de son père, la voit devenir réalité entre 2030 et 2050. « Ce n’est pas si, c’est quand », dit-il. Et à ceux qui disent que ça ressemble à Black Mirror : eh bien, retournez voir l’épisode « Be Right Back ».
Bien sûr qu’Ahmad a des critiques. « Les gens soulèvent l’idée que nous avons besoin d’une » clôture « , dit-il. « Mais ça sert à résoudre le problème « si seulement j’avais dit ceci ou cela » dans une certaine mesure. » Il admet néanmoins qu’il existe de nombreuses questions juridiques et éthiques. « Ce sont des territoires inexplorés. Cela affectera notre façon de voir l’identité. Ajouter des émotions peut être un défi. » Ajoute-t-il. Death 2.0 entraînera-t-il des conséquences imprévues ? Une question l’on peut d’ores et déjà réfléchir, précise Yves Alphé.